Collette, Sandrine – Il reste la poussière


Patagonie. Dans une estancia d’élevage, la mère gère tout d’une main de fer et fait travailler ses fils comme des esclaves, sans répit ni loisirs..
Raphaël, le petit, est né après la mort du père. Les aînés, des jumeaux, estiment Rafael responsable de ce départ, le haïssent et le maltraitent avec une cruauté extrême. Lancés sur leurs chevaux ils se jettent l’enfant terrorisé comme un ballon, sous le regard indifférent de la mère.
Le troisième fils, Steban, imite d’abord ses aînés mais comme il bégaie, ses frères le rejettent et le traitent de débile. Car une nuit, Steban a vu sa mère partir avec son père et revenir seule, couverte de sang. Depuis,.la peur de subir le même sort le paralyse, figeant sa langue et son esprit.
Quand Rafael reçoit son cheval, il connaît son premier bonheur, mais un soir de fatigue et de coups il oublie de fermer la porte et deux chevaux s’enfuient. Il quitte alors l’estancia et se promet de ramener les chevaux échappés.

Avec son écriture stupéfiante d’imagination et de beauté, dans laquelle s’entend le galop des chevaux, les cris de haine et de peur des frères, la force d’indifférence de la mère et la passion d’un peuple au sang chaud, avec ses personnages qui ont la puissance et l’envergure des héros tragiques, avec son exaltation de la nature et du monde sauvage, Sandrine Collette nous offre à mon sens un de ses plus grands romans, un livre qu’il convient de lire tout haut tant ses mots et ses phrases frappent les corps et touchent les coeurs.
Comme souvent chez cette auteure, les messages convoyés comme les pensées et sentiments des personnages ne sont pas dits ni exprimés, mais ils sont montrés dans des gestes ou par des actions, ce qui confère une vivacité et une profondeur très particulières à ce texte que je vous conseille, vous demande, vous enjoins de lire.

Dhamija, Vish – Le magnat

Titre original : The Mogul
Traduction : Anne Durand

Prem Bedi joue au golf à Séoul quand on lui annonce l’assassinat de son ex-femme et de son mari. Le magnat rentre aussitôt à Mumbai à la grande surprise de son ami et adjoint, car cette femme l’a trompé et manipulé tandis que son amant journaliste le calomniait et s’acharnait à le salir.
A son tour, le beau-frère de Rea va se déchaîner contre Prem qu’il accuse du double meurtre et veut faire tomber en s’acoquinant au patron des enquêteurs, un homme vil, corrompu et vicieux.
Les policiers disposent de deux preuves inculpant Prem, mais elles sont si flagrantes que l’idée d’une machination s’impose, aussi le magnat propose-t-il au jeune Rohan, un avocat débutant, de le défendre. Il le choisit plutôt qu’un ponte du barreau tant il est sûr de son innocence et confiant en la justice de son pays.

Le procès est le point culminant de ce thriller, Il oppose Rohan qui travaille d’arrache-pied à sculpter ses arguments et à consulter la jurisprudence, à un procureur expérimenté, un homme sans scrupules et sans manières pour qui ce procès est la chance de conclure en beauté une carrière médiocre.
Durant toute la durée du procès, Prem reste calme et digne, C’est un homme racé, généreux, toujours loyal et probe, mais le doute subsiste néanmoins sur son innocence, doute entretenu avec finesse par l’auteur. Face au magnat, le beau-frère de Rea suscite l’antipathie avec sa véhémence et sa cupidité, mais est-ce une raison pour assassiner la seule famille qu’il lui restait ? Et si ce n’est l’un d’eux, qui donc serait-ce ?
Passionnant et ingénieux, ce thriller judiciaire plein de pièges, de trompe-l’oeil, de laideurs et de grandeur, laisse parfois passer l’étincelle d’une autre vérité

Merci à Mera éditions et à NetGalley pour cette lecture.

Abel, Barbara – Comme si de rien n’était

En allant rechercher son fils Lucas après son cours de solfège, Adèle Moreau tombe sur son professeur, Hugues Lionel, qui la reconnaît et l’appelle Marie, au grand étonnement de la jeune mère.
Peu après l’enseignant apprend que son père, dont il est proche, est atteint d’Alzheimer. Préoccupé par cette nouvelle et ruminant l’échec de sa vie, Hugues se jette avec avidité sur le souvenir de cette nuit alcoolisée avec Marie il y a 9 ans et s’interroge sur la famille Moreau jusqu’à l’obsession.
Adèle est mariée à Bertrand mais leur relation est bancale, il est sujet à de longues semaines de froideur où, démunie et en grande détresse, la jeune épouse cherche en vain quelque chaleur vitale.
Quant à Lucas, cet enfant solitaire a intégré et fait siennes les failles de ses parents.

Les personnages de ce roman possèdent quasi tous l’art de faire les mauvais choix, se laissant systématiquement guider par leurs pulsions et leurs émotions plutôt que par la raison ou la vertu.
Pourquoi Adèle, architecte d’intérieur au goût très sûr devient-elle une petite chose frémissante chez elle ?
Pourquoi Bertrand, amoureux fou de sa femme, devient-il une pierre dure dès qu’il a l’impression qu’on lui dissimule quelque chose ?
Et pourquoi Hugues plonge-t-il dans une telle obsession jusqu’à dépasser toutes les limites ?
Pour connaître les réponses à ces questions, lisez ce thriller psychologique où chacun des personnages est travaillé par son passé douloureux mais qui, à mes yeux, manque de cohérence et de crédibilité quand il s’emploie à conclure.

Merci à Vanessa et les éditions Recamier, merci à Babelio pour cette lecture.

De Montaigne, Tania – Sensibilités

Parce qu’il s’est senti agressé dans sa foi par les propos d’un auteur, un homme lui a donné 18 coups de couteau. Il a dit-il agi en état de de légitime défense.
Choquée une jeune collaboratrice des éditions Feel Good décide d’établir une charte propre à ménagerait toutes les sensibilités en excluant les mots potentiellement offensants, gênants ou ressentis comme irrespectueux par certaines susceptibilités.
Ainsi Feel Good n’admet aucun mot sexué ou propre à une religion, il exige un test ADN assurant la légitimité des auteurs, seuls autorisés alors à parler de leur communauté.
Et pendant qu’une police du langage sévit chez Feel Good et que les réseaux sociaux relaient cette traque aux mots, des milliers de femmes, d’homosexuels, d’enfants sont torturés et assassinés partout dans le monde sans que cela n’intéresse personne.

Supprimer tout ce qui dérange dans l’idée que la moindre différence de point de vue est une agression à laquelle seule une agression plus violente encore doit répondre, suppose que l’échange verbal et l’argumentation ne sont plus une option concevable, les seules options pensables sont la vitupération et la violence.
Et donc la seule façon d’obtenir une société pacifiée est d’effacer les rides sociales tout comme il faut effacer les rides sur les peaux vieillissantes.
Si cette histoire va au bout de l’aplatissement du langage, jusqu’au ridicule, elle finit par lasser à force de ne traiter que de cela, sans étendre ni creuser son sujet, ce qui en ferait un essai, mais sans davantage y injecter un sang vital ou un travail d’écriture, si bien qu’elle peine à être un roman.
Le seul mérite de ce livre est qu’il incite à souligner et à débattre de cette censure exponentielle en Occident.

Denjean, Céline – Matrices

Pris dans une pluie diluvienne un conducteur percute une jeune femme enceinte qui décède peu après dans les bras d’un médecin surgi tout à propos. Avant de mourir elle prononce les mots « Save the others ». L’autopsie de la jeune nigériane révèle un marquage au fer rouge et l’ enfant qu’elle porte n’a aucun gène commun avec elle.
La major Louise Caumont et son adjointe et amie Violaine Menou, la première dissimulant de profondes blessures sous un masque de froideur , la seconde plus intuitive et spontanée, vont se lancer à corps perdu dans cette enquête. Progressivement se dessine l’existence d’un vaste réseau mafieux qui se procure le ventre des femmes aux fins de fournir des nouveaux-nés sur mesure à de riches familles françaises.
La mort de la jeune nigériane dont l’enfant devait absolument être livré à temps, va obliger le livreur à capturer une jeune française enceinte, ce qui ne sera pas sans conséquences.

Remonter une telle filière dans laquelle trempent des familles ultra riches , en passant par tout une filière d’ordures qui se font une fortune sur ces jeunes femmes qui n’ont de valeur que marchande sinon rien, est une entreprise de longue haleine bien éprouvante pour Louise et son équipe.
Différentes voix alternent dans ce roman, celles d’hommes sans scrupules, avides d’argent et de pouvoir, qui se donnent des allures honorables mais n’ont qu’eux-mêmes et leur satisfaction égoïste comme point de mire.
Celle d’une jeune femme nigériane vendue par les siens, séquestrée elle ne sait où avec d’autres jeunes femmes enceintes, terrorisée à l’idée du viol et du vol de l’(son) enfant à sa naissance. Elle relate son périple jusqu’en France.
Vient ensuite le récit bouleversant d’une jeune femme qui fut vendue comme prostituée, donnée en location à l’industrie du porno pour y subir d’innombrables humiliations et violences filmées et qui assista à des scènes d’une horreur sans nom
Et vient enfin grâce à la bienveillance et la délicatesse de Violaine, la parole de Louise, déchirante, qui nous donne à comprendre sa réserve et à compatir à ses souffrances.
Un thriller magistral et passionnant dans lequel Céline Denjean dénonce avec lucidité et sensibilité, l exploitation sans limites des femmes

Robert-Diard, Pascale – La petite menteuse

Lisa Charvet, tout juste majeure, débarque dans le bureau de l’avocate Alice Keridreux et lui demande de la représenter lors du procès en appel de son violeur. Lisa estime qu’une femme la comprendra mieux que cet avocat qui la défendue contre Marco Lange, l’homme qu’elle a accusé de viol alors qu’elle avait 15 ans.
Bien sûr de tels procès attisent les esprits, les masculinistes et autres incels dénoncent la sacralisation de la parole des femmes, et les féministes crient qu’elles ne supportent plus ceux qui font fi de leur parole ou la moquent.
Alice, la narratrice de cette histoire, relit l’ancien dossier et s’étonne de voir la condamnation de Lange ne reposer que sur la seule parole de Lisa et sur des témoignages du type « il regardait bizarrement », « c’était un marginal ». A ses yeux cela ne justifiait pas l’incarcération de Lange.

Comme le dit le titre, Lisa a menti et se dit prête lors de ce second procès à raconter ce qui l’a, trois ans plus tôt, incitée à se dire victime d’un viol, et cela au risque de se voir psychologiquement lapidée par le public, l’avocat de Lange et la juge outrée par ce mensonge responsable du long internement de l’innocent Lange.
Lisa va tenter, maladroitement mais sincèrement, d’expliquer que cette dénonciation a été une porte de secours, un appel à l’écoute de sa détresse, la sortie d’un engrenage de rumeurs, d’incitations, d’attentes ainsi qu’une forme d’explication à sa dépression.
Comment juger quand on se trouve face à deux victimes ? Certes elles ne sont pas sur un pied d’égalité, mais toutes deux sont en droit d’attendre un jugement équitable à l’aune du passé comme à celui de l’avenir.
On aurait aimé assister à la plaidoirie de l’avocate et au verdict final mais non, tant pis pour nous.
Un roman précieux en ce qu’il dénonce ces jugements hâtifs fondés sur les préjugés, les apparences, les intérêts d’une cause personnelle et la méconnaissance de la complexité humaine.

Leduc, Frank – Duel


La commandante Talia Sorel est négociatrice et travaille avec le Raid, une brigade d’intervention toujours prête à donner l’assaut.
Deux cars scolaires se sont volatilisés avec 66 enfants à bord. Une semaine passe sans nouvelles. Enfin un appel survient, le kidnappeur exige de parler à Talia et non au négociateur de l’équipe du commissaire Shepherd chargée de retrouver les enfants,
Le ministre et Shepherd sont mécontents de ce choix et se méfient de Talia.
2 ans plus tôt, au Maroc, Gétald Mansour, doté d’un pouvoir de persuasion étonnant, est licencié. Pour maintenir son aisance, il profite de la mort de son père survenue à point nommé pour échanger leurs noms, touchant ainsi la pension paternelle ainsi que sa fortune.

On s’en doute le duel va opposer le kidnappeur, un manipulateur séducteur qui jouit de parvenir à tromper ses semblables, un homme sans scrupules qui pour atteindre son but, devenir riche et puissant, est prêt à tout, même à sacrifier les enfants. Face à lui se dresse Talia, une négociatrice d’une extrême finesse, courageuse et droite, dont le but est d’arracher tous les enfants aux griffes de leur prédateur.
Tour au long de ce roman palpitant s’engage un combat dans lequel le kidnappeur s’amuse à disposer des fausses pistes et des leurres, à mettre en oeuvre un dispositif diabolique pour que la pression sur le public soit telle qu’il parvienne à ses fins.
De son côté Talia s’ingénie à les déjouer les pièges de son opposant et à pénétrer les rouages de cet esprit machiavélique. Si la responsabilité qui pèse sur elle est gigantesque, elle l’assume sans faillir.
La vie des enfants mérite certes tous les sacrifices, mais pour autant faut-il ignorer toutes ces victimes que certains osent traiter de collatérales, c’est-à-dire privées de noms, dont la mort est un désastre ?
L’écriture de Frank Leduc est belle, travaillée et tellement juste.

Merci aux éditions Belfond ainsi qu’à NetGalley pour cette lecture.