Lepage, Frédéric – Promets-moi d’avoir peur


A New-York, Luna est vétérinaire et adepte du parkout, ce sport d’escalade et de sauts sur les toits des immeubles, elle prend tous les risques car elle est atteinte d’une déficience de l’amygdale cérébrale (nommée le syndrome d’Urbach-Wiethe) grâce ou à cause de laquelle le sentiment de peur lui est étranger.
Son compagnon, Victor, est photographe de guerre et vient de gagner le prix Pulitzer pour une photo prise en Ethiopie. Comme Luna désire ardemment un enfant, sa neurologue lui enjoint de se faire traiter afin de pouvoir ressentir de la peur pour son enfant et la dirige vers la clinique très privée d’un célèbre chirurgien du cerveau.
Quelques semaines plus tard, le corps de Luna est découvert sur le toit d’un immeuble, une balle tirée en plein visage.

Ce roman alterne entre les états d’âme et les réflexions de Luna durant son hospitalisation et l’enquête qui suivra sa mort, enquête menée par deux policiers aussi opposés que complémentaires.
Ce livre est avant tout une dénonciation des abus dont les recherches médico-militaires se rendent coupables sous le prétexte de la défense du pays, la véritable raison en étant la conquête du pouvoir sur l’homme et le monde.
En outre ce roman interroge le phénomène de la peur du point de vue éthique : ne pas éprouver de peur c’est être incapable d’estimer le danger tant pour soi que pour l’autre, c’est, en déduit l’auteur, ne pouvoir la comprendre chez l’autre et donc être incapable d’empathie ou de compassion envers ses peurs, une affirmation qui me laisse dubitative, car l’empathie et la compassion ne s’arrêtent pas dès qu’une situation est vécue différemment, elle englobe la détresse humaine quelle que soit sa forme.
Je vous conseille de lire ce roman magnifiquement écrit, original et passionnant.

Denzil, Sarah A. – Vulnérable

Titre original : Little Girl
Traduction : Isabelle Wurth

Fran est agréablement mariée et mène une vie tranquille dans un village de la campagne anglaise. Quand elle rencontre la toute jeune Mary et sa fille Esther de 7ans venues de l’Arizona, elle s’étonne de leurs accoutrements, de la crainte que semble éprouver Mary et des restrictions que leur religion leur impose. Fran ressent un puissant besoin de protéger la jeune mère et sa fille Esther qui ne joue pas, ne sourit jamais et s’enfuit afin de retrouver celui qu’elle nomme Père ..
Bien que son mari lui conseille de ne pas trop s’engager car il sait sa femme fragilisée encore par la perte de leur petite Chloé, Fran est comme poussée vers ces deux êtres que la communauté du village rejette au point que l’homme qui accompagne mère et filles les contraint à partir.
Notre héroïne se sent responsable et entreprend de chercher l’endroit où elles séjournaient en Arizona pour, contre l’avis de son mari, se lancer à leur poursuite et à leur secours.

Douée d’une intuition puissante, Fran a ressenti, comme l’auteure nous le donne également à ressentir, une ombre néfaste et malfaisante.
Parfois exaspérante, courageuse jusqu’à la témérité, déterminée à sauverun rie ces deux êtres auxquels des liens secrets la relie, Fran n’hésite pas à affronter ce qu’elle sait être un terrible danger et à pénétrer au coeur du Mal, là où l’attendra l’absolue stupéfaction et où s’ouvriront les entrailles de la perversion.
Bien que Fran m’ait de temps en temps bien énervée, ce roman quelque peu tiré par les cheveux n’est pas sans intérêt et réserve, vers la fin, une surprise de taille.

Musso, Valentin – Dans mon obscurité


Emma est aveugle, chez elle comme ailleurs, elle se sent observée et menacée. Réalité ou illusion due à sa trop grande solitude? Sa seule amie, Christelle, l’aide et la pousse à sortir. Un soir Emma accepte de sortir et rencontre Stéphane. Très vite une relation débute entre eux.
Ludivine est une ado conforme à sa génération. La jeune fille est attirée par le nouveau de la classe, un bad boy un peu sombre ils flirtent à l’abri des copains du lycée et surtout de la famille très stricte de Ludivine. Or un jour la jeune fille disparaît.
Sept ans plus tard, comme l’affaire en est toujours au point mort, l’inspectrice Zora s’y intéresse malgré l’interdiction de son chef.

C’est un roman qui se lit agréablement et facilement. Les événements s’enchaînent sans agitation et distillent leur suspense en l’injectant à petites doses régulières. Comme on s’en doute les parcours deux jeunes femmes possèdent des points de convergence un peu forcés mais acceptables.
Néanmoins j’ai trouvé la fin décevante,. J’ai eu l’impression que l’auteur, pour éviter que sa fin ne soit totalement conventionnelle, a rajouté un élément censé nous surprendre mais qui dénature l’intrigue en altérant son personnage principal.

Carayon, Christian – Comment va la nuit ?


Anthony est vieux, c’est un homme marqué, solitaire à l’extrême, taiseux. Aujourd’hui, gavé de souffrances, il sort dans la neige, tombe et meurt.
Au troisième âge de sa vie, Anthony s’installe dans une bergerie isolée frôlant les montagnes. Un jour une jeune infirmière achète la ferme qui fait pendant à la bergerie, La joie ombrée de tristesse de la jeune femme fascine le vieil homme. Leurs passés de douleur les uniront d’amitié avant qu’il ne commette l’irréparable, brisant leur entente.
Le deuxième âge de sa vie est marqué par la terrible maladie et le suicide assisté de sa mère, une femme admirable dont il ne fera jamais le deuil. Il y rencontrera Katel, l’amour de sa vie qu’il aimera pourtant moins que lui-même 
Au premier âge de sa vie il est béni des dieux puisqu’il a une mère exceptionnelle de courage et d’inépuisable amour.

Il faut noter la plume magnifique de l’auteur, l’intelligence de ses dialogues, leur profondeur et cette sensibilité pudique qui me touche bien davantage que les hauts cris.
Anthony est un homme à qui tout a été donné, une mère aimante, des facilités intellectuelles et manuelles, un ami extraordinaire, un amour et des amies merveilleuses, mais il n’a jamais rien rendu, quand il n’a pas gâché ou détruit ces cadeaux de vie.
J’ai eu de la compassion en même que de l’irritation pour cet homme qui n’a jamais pu aimer réellement, s’est endurci, ensauvagé et qui, ayant beaucoup vécu, est néanmoins passé à côté de sa vie.

Riel, Ane – Les fantômes ne pleurent pas

Traduction : Terje Sinding
Un grand merci aux éditions du Seuil pour l’envoi de ce livre.


Alma est si âgée qu’elle ne dénombre plus les ans, vite fatiguée, entièrement sourde, mal assurée sur ses jambes, elle oublie parfois certaines choses, beaucoup de choses, mais jamais de remonter sa vieille horloge. Son horizon est bien limité depuis qu’elle n’ose plus sortir par crainte de tomber, mais loin de s’en plaindre, elle se réjouit de ce qu’il lui reste.
Pourtant la vie n’a guère épargnée, à 6 ans sa fille est fauchée par une voiture, sa maison a brûlé, son mari dont le tempérament querelleur a fait fuir toutes ses amies, a mal vieilli, tellement mal vieilli qu’elle préférerait aujourd’hui en avoir perdu la mémoire.
Depuis quelques temps elle remarque un petit garçon promener son chien devant chez elle , quand il voit la vieille dame lui faire signe, il s’encourt d’abord, mais peu à peu il s’approche et finit par entrer chez elle. Malgré sa surdité l’aïeule et l’enfant échangent, rient d’un rien et se lient d’un amour profond et tendre.

Entre souvenirs, refoulements et oublis, entre amour, haine et solitude, la vie d’Alma fut davantage un chemin d’épines que de roses.
Ana Riel nous offre un magnifique roman sur la vieillesse avec ses douleurs, ses empêchements, ses oublis qui, acceptés avec bienveillance, leur ôte toute âpreté et les amadoue comme on le fait avec un animal un peu récalcitrant.
Une vieillesse qui peut alors, à l’instar de l’enfance, s’émerveiller et se réjouir d’un rien, une vieillesse qui se réconcilie avec les aléas de la vie, avec les erreurs et les horreurs, avec la vie telle qu’elle fut.
Un roman superbe, aussi violent que tendre, bouleversant.

Villain, Isabelle – De l’or et des larmes

Cette histoire se déroule dans le milieu sportif de haut niveau, celui de jeunes athlètes gymnastes qui briguent la médaille d’or aux jeux olympiques.
L’entraîneur des jeunes vient de mourir dans un accident qui s’avère avoir été criminel, les freins de la voiture ayant été sectionnés. Qui donc peut avoir ourdi le meurtre de cet homme adulé par les athlètes qui lui ont confié depuis un très jeune âge leurs corps, leurs aspirations et leur jeunesse ?. A lui ainsi qu’à sa femme kinésithérapeute.
L’équipe de Rebecca de Lost est priée de résoudre ce crime au plus vite, pressée par le milieu politique qui redoute de voir les médailles françaises lui passer sous le nez.
Il faudra que le journal intime d’une jeune sportive suicidée soit tiré de sa cachette pour qu’un pan de la vérité se lève, mettant à jour une omerta qu’il convient de respecter si l’on ne veut être écarté de la sélection.

Ce milieu de haute compétition m’était totalement inconnu, et je me suis étonnée de voir de tout jeunes enfants entre 10 et 15 ans, se remettre, avec l’accord de leurs parents, entre les mains d’un entraîneur, pratiquer chaque jour les mêmes exercices des heures durant, délaisser leur vie sociale, les sorties et les plaisirs de leur âge pour ne se vouer qu’à un but : obtenir la médaille d’or. Sans compter les innombrables traumatismes et micro fractures qui pèseront lourdement sur leurs épaules d’adultes et sans compter sur la brièveté de leur carrière.
L’écriture de l’auteure est simple, son intrigue, proche d’un documentaire qui reprend un sujet d’actualité, est intéressante mais sans grande complexité. Il m’a surtout manqué l’approfondissement psychologique des personnages qui se maintiennent au duo action-réaction.

Jéhanno, Claire – La jurée


Petit-neveu préféré d’une dame extravagante et dispendieuse, Frédéric et sa compagne Lucile sont accusés d’ avoir drogué et étranglé l’aïeule. On présume qu’à court d’argent et se sachant héritier, Frédéric a exécuté sa grand-tante.
Heurtée par le silence obstiné des accusés, Anna, la jurée, se range à cette hypothèse mais peu à peu ce silence la ramène bien malgré elle au sien alors que, petite, elle était incapable de raconter comment sa petite cousine avec laquelle elle jouait a soudainement disparu. C’était un silence d’oubli, mais un silence intolérable pour son père, un silence qui a bouleversé et mutilé sa vie. Ainsi que celle de sa famille.
Durant 5 longues journées le procès se poursuit, les témoins défilent, les avocats se défilent, les accusés se taisent et Anna écoute, consciente de sa responsabilité, appesantie d’elle, réfléchissant. Vient le dernier jour. Anna demande la parole et pose aux accusés la question à laquelle nul n’avait pensé.

C’est avec passion, émotion et admiration que j’ai lu ce roman remarquable par son intelligence du coeur et la beauté de son écriture.
De plus, ce rôle de jurée permet de raviver des questions bien actuelles : Comment peut-on juger sans tout connaître, et comment pourrait-on tout connaître de cette infinie complexité humaine? Comment être objectif lorsqu’on est un sujet et comment, nécessairement sujet/subjectif, peut-on être juste ?

Harper, Jane – Les oubliés de Marralee

Titre original : Exiles
Traduction : David Fauquemberg
Editions : Merci à Doriane des éditions Calmann Levy pour cette lecture


Lors de l’annuelle fête du vin qui rassemble de nombreux touristes et locaux à Marralee, Kim, mère d’une adolescente et d’une petite Zoé, disparaît. Quand Zoé est découverte abandonnée dans son landau, il est clair qu’un drame est survenu. Toutes les issues de la fête étaient pourtant surveillées, se serait-elle noyée dans cette retenue d’eau que pourtant elle évitait à tous prix?
Mais ni les proches ni le sergent Dwyer pourtant acharné à percer cette énigme n’aboutissent à rien.
Lors de la fête viticole suivante, Zara lance avec beaucoup d’émotion un appel à témoin public. C’est son dernier espoir. De son côté, son oncle demande à Falk, un ami flic, de reconsidérer cette disparition avec son regard extérieur.

Cette quête de vérité d’Aaron Falk avance par petites touches délicates. Point de retournements en chaîne, de courses poursuites et autres rythmes haletants faciles, mais une lente analyse des lieux, des enjeux, de ce qui manque plus que de ce qui apparaît, le patient recueil des confidences et le travail de réflexion, figurent parmi les façons de ce flic sensible et. profondément doux.
Une enquête alliant l’intelligence du coeur et celle de la raison par une auteure dont les romans m’enchantent de plus en plus.

Brookmyre, Chris – Sombre avec moi

Titre original : Black Widow
Traduction : Céline Schwaller


Diana Jager est accusée du meurtre de son mari Peter avec lequel elle était mariée depuis 6 mois. L’accusée, excellente chirurgienne passionnée par son travail, traîne une réputation de franc parler et d’ironie qui lui a valu quelques inimitiés. Elle vit seule, déchirée entre manque d’amour et méfiance envers les autres jusqu’au jour où elle rencontre Peter, un informaticien. Le courant passe à merveille entre eux mais Peter se durcit dès le mariage célébré et s’éloigne sous couvert de travail acharné.
Les suspicions envers Diane débutent avec la découverte du véhicule de Peter échoué dans les eaux glacées d’un lac sans qu’aucun corps ne soit repêché.
Lucy, la soeur de Peter est certaine que Diana a tué son frère et engage Parlabane, un journaliste d’investigation à la réputation sulfureuse, de prouver la culpabilité de la chirurgienne.

Avec Chris Brookmyre, vous êtes sûrs de tomber dans une machination complexe, tordue et géniale. Véritable toile dont on ignore où est l’araignée ni qui elle est, on se sent englué dans un montage parfaitement cohérent, où pas un fil ne lâche.
Mais loin de n’être qu’une construction magistrale, il s’agit ici essentiellement d’un thriller psychologique avec des personnages finement travaillés et comme trame de fond ces passions humaines qui, en dehors de l’amour, assombrissent nos sociétés.
Elles forment, au coeur de cette intrigue son point aveugle, son araignée diabolique.

Leban, Damien – Sublimation


A l’âge de 3 ans Camille est placée dans un orphelinat. Petite et fragile, elle ne connaît que brimades et violences parmi ces enfants dont la cruauté est aggravée par celle qu’ils ont subie tandis que les éducateurs ferment les yeux.
Arthur est un jeune homme entretenu par sa riche mère. Incapable du moindre effort il rêve néanmoins de devenir un écrivain admiré. Or après une nuit d’alcool et de médicaments, il se réveille devant un chapitre génial. Avec cette recette il va enfin produire un thriller qui lui vaudra la célébrité.
Bruno Heisen, major à la gendarmerie, se rend avec son équipe sur une scène de crime abominable : quatre corps d’hommes décapités suite à un viol collectif et 4 têtes fichues sur des pieux, l’une d’elles ne correspond à aucun des corps.

2ème livre que je lis de cet auteur et à nouveau je suis frappée par l’immense compassion qu’il me fait éprouver pour ces enfants victimes qui survivent tant bien que mal, et plutôt mal que bien, face au Mal.
Ensuite il y a le bonheur de suivre une intrigue parfaitement construite où l’on entre dans le mystère du lien entre ces trois personnes dont les vies sont radicalement séparées.
Agir mal, faire le mal, être le Mal. Il y a dans ce livre une sorte de refondation des cercles de l’enfer jusqu’à cet abîme de perversion qui, rouerie suprême, prend le nom de son opposé absolu : Sublimation.
Un thriller prenant, bien écrit et machiavélique.


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