Carayon, Christian – Comment va la nuit ?


Anthony est vieux, c’est un homme marqué, solitaire à l’extrême, taiseux. Aujourd’hui, gavé de souffrances, il sort dans la neige, tombe et meurt.
Au troisième âge de sa vie, Anthony s’installe dans une bergerie isolée frôlant les montagnes. Un jour une jeune infirmière achète la ferme qui fait pendant à la bergerie, La joie ombrée de tristesse de la jeune femme fascine le vieil homme. Leurs passés de douleur les uniront d’amitié avant qu’il ne commette l’irréparable, brisant leur entente.
Le deuxième âge de sa vie est marqué par la terrible maladie et le suicide assisté de sa mère, une femme admirable dont il ne fera jamais le deuil. Il y rencontrera Katel, l’amour de sa vie qu’il aimera pourtant moins que lui-même 
Au premier âge de sa vie il est béni des dieux puisqu’il a une mère exceptionnelle de courage et d’inépuisable amour.

Il faut noter la plume magnifique de l’auteur, l’intelligence de ses dialogues, leur profondeur et cette sensibilité pudique qui me touche bien davantage que les hauts cris.
Anthony est un homme à qui tout a été donné, une mère aimante, des facilités intellectuelles et manuelles, un ami extraordinaire, un amour et des amies merveilleuses, mais il n’a jamais rien rendu, quand il n’a pas gâché ou détruit ces cadeaux de vie.
J’ai eu de la compassion en même que de l’irritation pour cet homme qui n’a jamais pu aimer réellement, s’est endurci, ensauvagé et qui, ayant beaucoup vécu, est néanmoins passé à côté de sa vie.

Riel, Ane – Les fantômes ne pleurent pas

Traduction : Terje Sinding
Un grand merci aux éditions du Seuil pour l’envoi de ce livre.


Alma est si âgée qu’elle ne dénombre plus les ans, vite fatiguée, entièrement sourde, mal assurée sur ses jambes, elle oublie parfois certaines choses, beaucoup de choses, mais jamais de remonter sa vieille horloge. Son horizon est bien limité depuis qu’elle n’ose plus sortir par crainte de tomber, mais loin de s’en plaindre, elle se réjouit de ce qu’il lui reste.
Pourtant la vie n’a guère épargnée, à 6 ans sa fille est fauchée par une voiture, sa maison a brûlé, son mari dont le tempérament querelleur a fait fuir toutes ses amies, a mal vieilli, tellement mal vieilli qu’elle préférerait aujourd’hui en avoir perdu la mémoire.
Depuis quelques temps elle remarque un petit garçon promener son chien devant chez elle , quand il voit la vieille dame lui faire signe, il s’encourt d’abord, mais peu à peu il s’approche et finit par entrer chez elle. Malgré sa surdité l’aïeule et l’enfant échangent, rient d’un rien et se lient d’un amour profond et tendre.

Entre souvenirs, refoulements et oublis, entre amour, haine et solitude, la vie d’Alma fut davantage un chemin d’épines que de roses.
Ana Riel nous offre un magnifique roman sur la vieillesse avec ses douleurs, ses empêchements, ses oublis qui, acceptés avec bienveillance, leur ôte toute âpreté et les amadoue comme on le fait avec un animal un peu récalcitrant.
Une vieillesse qui peut alors, à l’instar de l’enfance, s’émerveiller et se réjouir d’un rien, une vieillesse qui se réconcilie avec les aléas de la vie, avec les erreurs et les horreurs, avec la vie telle qu’elle fut.
Un roman superbe, aussi violent que tendre, bouleversant.

Jéhanno, Claire – La jurée


Petit-neveu préféré d’une dame extravagante et dispendieuse, Frédéric et sa compagne Lucile sont accusés d’ avoir drogué et étranglé l’aïeule. On présume qu’à court d’argent et se sachant héritier, Frédéric a exécuté sa grand-tante.
Heurtée par le silence obstiné des accusés, Anna, la jurée, se range à cette hypothèse mais peu à peu ce silence la ramène bien malgré elle au sien alors que, petite, elle était incapable de raconter comment sa petite cousine avec laquelle elle jouait a soudainement disparu. C’était un silence d’oubli, mais un silence intolérable pour son père, un silence qui a bouleversé et mutilé sa vie. Ainsi que celle de sa famille.
Durant 5 longues journées le procès se poursuit, les témoins défilent, les avocats se défilent, les accusés se taisent et Anna écoute, consciente de sa responsabilité, appesantie d’elle, réfléchissant. Vient le dernier jour. Anna demande la parole et pose aux accusés la question à laquelle nul n’avait pensé.

C’est avec passion, émotion et admiration que j’ai lu ce roman remarquable par son intelligence du coeur et la beauté de son écriture.
De plus, ce rôle de jurée permet de raviver des questions bien actuelles : Comment peut-on juger sans tout connaître, et comment pourrait-on tout connaître de cette infinie complexité humaine? Comment être objectif lorsqu’on est un sujet et comment, nécessairement sujet/subjectif, peut-on être juste ?

Ward, Catriona – La dernière maison avant les bois

Titre original : The Last House on Needless Street
Traduction : Pierre Szczeciner


Ted vit seul dans une maison délabrée dont il a barricadé les fenêtres, seul, enfin il y a quand même sa fille Lauren qu’on entend parfois jouer bruyamment et Olivia le chat qui, en certains chapitres, prend voix.
Onze ans plus tôt une enfant a disparu non loin de là. Certes, Ted avait un solide alibi mais Dee, la soeur de la disparue, l’a toujours cru coupable et, dès que possible, loue la maison voisine de la sienne d’où elle pourra le surveiller et s’assurer que sa soeur n’est pas emprisonnée chez lui
Il est d’ailleurs étonnant que la police n’ait pas plus enquêté sur Ted, parce que depuis lors plusieurs gamins se sont également égarés dans la région sans jamais revenir.
Et que fait donc Ted la nuit dans le bois? Pourquoi fuit-il les miroirs ?

Dans une langue à la syntaxe volontairement disloquée, avec une grammaire qui se joue des genres et des conjugaisons, l’auteure nous fait entrer dans une pensée que seule une telle langue pouvait traduire.
Et il fallait cette langue-là pour qu’un pan de ma pensée se déchire, s’ouvrant ainsi à une autre, déchirante.
Avec une infinie tendresse Catriona Ward pénètre les souffrances les plus intimes de chacun, celles qui sont des abîmes, celles qui creusent des sillons de douleurs dans le corps et l’esprit et se terrent, effrayées, quand les ombres menaçantes et sans noms surgissent dans la nuit.
Un très grand livre qui se lit lentement car tout, jusqu’au moindre objet, parle et fait sens.
Vous qui entrez ici, n’abandonnez pas toute espérance.

Godinaud, Grégoire – La chanson blanche


2015. Le vol AN 333 reliant Boston à Paris s’écrase en mer avec ses 480 passagers. Rien ne subsiste de l’avion et rien n’explique ce crash.
Quatre ans plus tard, Tom est appelé au Bureau des Enquêtes Aériennes. En effet le sac de son frère autiste a été repêché, et ce sac contient des traces laissant penser à un attentat. Tom se lance alors, aidé par une amie, dans une quête visant à innocenter son frère
A partir de ce moment, nous allons voyager entre le temps, actuel, de Tom et les temps précédant le vol pendant lesquels on fera de brèves escales de passagers en pilotes et de pilotes en passagers, tous susceptibles d’avoir commis ce crime, tous pétris d’ambiguïté, sinon de faux semblants. De quoi provoquer bien des perturbations chez les lecteurs

J’ai trouvé le personnage de Tom, égoïste et impulsif, particulièrement antipathique, surtout quand en finale il accusera publiquement un innocent afin de laver l’honneur de son frère, et cela sans se soucier des retombées d’une telle annonce.
Les quelques pilotes et passagers auxquels ce roman s’intéresse nous sont livrés au travers de petites saynètes et brèves escales, sans que nous ne puissions en connaître plus que des bribes et morceaux de leurs caractères et de leurs agissements..
Pour en percer le secret il nous faudra attendre les derniers chapitres, car de secret il n’y a pas seulement celui de l’auteur du crash, il en plane autour de chaque personnage, tantôt subtil, tantôt quelque peu tiré sur les fils de la vraisemblance.

Merci de tout coeur à Babelio et sa Masse Critique ainsi qu’à Ségolène des éditions du Gros Caillou pour son envoi, son gentil mot et le joli marque-page


Tremblay, Paul – La Cabane aux confins du monde 

Titre original : The cabin at the end of the world
Traduction :  Laure Manceau

Une cabane au bord d’un lac. A l’avant Wen, une petite chinoise adoptée, capture des sauterelles tandis que ses pères Eric et Andrew lisent sur la terrasse à l’arrière. Un gentil géant arrive et s’offre à aider Wen qui accepte mais bientôt 3 autres personnes munies d’armes étranges et effrayantes s’amènent et Wen s’encourt, terrifiée, pour avertir ses pères.
La petite famille refuse l’accès à ces drôles d’inconnus et se calfeutre, mais tous quatre entrent de force, s’emparent des deux pères, les ligotent et les enferment avec la petite Wen. Ils ont été contraints, déclarent-ils, de leur délivrer un message capital car seul leur couple peut éviter l’Apocalypse telle qu’ils l’ont vue par révélation.

Le roman soulève des questions qui meurtrissent l’actualité  : Que choisit-on de croire dans un monde où rien n’est certain mais tout est possible? Pour quelles raisons, quel motif intime, choisit-on telle croyance plutôt qu’une autre ? Et jusqu’où est-on prêt à aller pour la prouver, elle qui est par essence improuvable ?
Un récit qui, au-delà de ses absurdités et de ses excès, porte à réfléchir et dont la fin est absolument sublime.

Antoine, Amélie – Pourquoi tu pleures ?

Dénigrée, dévaluée, sans cesse comparée négativement à sa soeur et son frère par une mère froide et méprisante, Lilas n’a d’existence et de valeur qu’aux yeux de son père aimant, mais ce dernier décède brutalement .alors qu’elle n’a que 16 ans. Endeuillée de son père et d’elle-même, Lisa ne reprendra pied qu’avec Maxime, ce garçon charmant, attentionné et drôle que tous adorent.
Sous le regard amoureux de son ami devenu son mari, Lilas s’épanouit et plus tard, met au monde une petite Zelie qui dort mal, crie et pleure énormément. Lilas exige d’elle-même d’être une épouse et une mère idéale, toujours disponible et souriante, mais ces devoirs l’épuisent de plus en plus. Un soir, elle se repose tandis que Maxime se rend chez un collègue avec Zelie, mais ils ne rentrent pas. Le lendemain, affolée, Lilas appelle la police.

Un livre poignant sur l’impossibilité d’expliquer nos actes quand, portés par une infinité de micro-lésions, ils s’extériorisent un jour sous forme d’un éclat brutal.
Un ouvrage sur l’insondable solitude de l’être humain, une solitude accentuée encore quand cet être fut engendré dans le gouffre du rejet et se voit constamment menacé d’y retomber.
Un roman sur l’incommunicabilité des vécus et des ressentis qui, de quelque façon qu’on s’ingénie à les exprimer, seront toujours déformés par les vécus et ressentis de ceux qui les écoutent.
Alors, à la solitude s’ajoute l’isolement.
Un livre qui touche, émeut, fâche et poignarde

Rouchon-Borie, Dimitri – Le Démon de la Colline aux Loups


Le narrateur, emprisonné pour longtemps, entame le récit de sa vie depuis son enfance où il vivait dans une pièce noire, blotti contre ses frères et soeurs, enfoui quasi sans mots dans la chaleur de leur unité. Jusqu’à ce que Duke, ainsi apprend-il son nom, soit tiré de là par le service social obligeant ses parents à le scolariser. Complètement perdu dans un monde dont il ne connaît aucun objet et aucun usage, Duke sera en plus l’objet de viols sauvages de son père jusqu’à son hospitalisation et le placement des enfants. S’il a témoigné contre son père et sa mère, c’est pour sauver sa soeur préférée, Clara, celle qui le consolait après les viols subis, celle dont il voulait à tout prix protéger l’innocence.
Comme Duke ressent en lui une rage grandissante, qu’il nomme son Démon et dont il ignore les limites, il quitte tout et part,

C’est raconté dans une langue riche de sa pauvreté, infiniment belle, nourrie à l’innocence de l’enfance bafouée, une langue qui vient vous déchirer le coeur, vous arracher les tripes et vous briser l’âme.
Et même si le Démon s’empare par moments de Duke, cette rage irrépressible se lèvera toujours afin de défendre l’innocence de sa soeur préférée, celle qu’il a sauvée de la noirceur du père et dont le nom, Clara, demeurera en lui comme une rédemption, comme une clarté pure et belle.

Schoeters, Gaea – Le trophée

Titre original : Trofee
Traduction : Benoît-Thaddée Standaert

Hunter White est un financier corrompu pour qui tous les moyens sont bons afin de s’enrichir, ce qui lui permet, chaque année, de s’offrir un trophée de chasse.
Hunter estime qu’abattre un animal pisté et traqué par des hommes non armés qui lui désignent enfin sa proie calmée est une chasse glorieuse. De plus, il prétend préserver la nature en s’appuyant sur des arguments qui refusent d’envisager l’autre versant des choses.
Mais le gibier convoité a été abattu par des braconniers. Alors Van Heeren, le guide de ces chasses aux trophées, qui connaît la noirceur de White, client chez lui depuis des années, va l’amener chez les bushmen avec une intention lucrative bien peu louable.’

Quand White et Van Heeren pensent le monde comme marchandise, les bushmen le perçoivent comme don et sacrifice. Ce n’est qu’une fois immergée dans le monde de l’autre que l’avidité sera déroutée et dévoilera pleinement l’être véritable du prédateur
L’écriture est magnifique, capable de convoquer la beauté et la grandeur des paysages comme d’évoquer les circonvolutions de l’esprit humain, depuis l’occlusion à toute pensée autre chez le Chasseur jusqu’à son acceptation par les bushmen pour qui tout participe au sens du monde.

Reid, Ian – Je sens grandir ma peur

Titre original : I’m thinking of ending things
Traduction : Valérie Malfoy

Jake et la narratrice se connaissent depuis peu, pourtant le jeune homme désire lui faire rencontrer ses parents. Durant le trajet le couple échange parcimonieusement, car la narratrice refuse de parler de ces appels anonymes qu’elle reçoit depuis son propre numéro et qui, sans être menaçants, sont troublants.
De même elle passe sous silence son projet d’en finir.
Les parents de Jake se montrent accueillants mais une atmosphère d’inquiétante étrangeté émane de leur ferme. .
Au retour, pris dans une tempête de neige, le couple s’arrête près d’une école, et pénètre dès lors dans une autre dimension, celle de l’intériorité fondamentale, là où la solitude est la plus désespérante et la plus désirée ; là où le secours de l’autre est appelé dans l’effroi de son absence et la menace de sa présence ; là où peut prendre place tout autre interprétation que notre douleur et notre terreur d’enfance y versera
Interrompant cette narration, deux personnages discutent d’un homme qui s’est donné la mort.

Un livre fort bien écrit et très étrange parce qu’usant principalement du symbolique et de la pensée imagée. Un livre que je ne qualifierais pas de thriller psychologique, même s’il y a une montée d’angoisse évidente, mais de roman métaphysique parce que les personnages incarnent des idées en mouvance et n’ont dès lors ni consistance ni chaleur humaine.

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