Collette, Sandrine – Et toujours les forêts


Dès avant sa naissance, Corentin est haï par sa mère. Il terminera son parcours de rejet sur le seuil du taudis de la vieille Autgustina. Dure et revêche, cette dernière s’adoucira pourtant au contact de cet enfant aimant et généreux.
Alors que, devenu jeune homme, Corentin se trouve dans les sous-sol avec des amis, un bruit effroyable, inouï, fait trembler sols et plafonds, écrasant certains, poussant d’autres vers la sortie où ils s’embrasent aussitôt.
Bien plus tard, quand Corentin peut enfin sortir, le monde devant lui n’est que poussière, dévastation et mort. Dans ce paysage accablé, un seul but, une seule raison de vivre le met en route : rejoindre Augustina, et donc parcourir 400km à pied, chercher sa nourriture dans les maisons ruinées, enjamber les cadavres, se protéger des pluies acides et brûlantes, craindre chaque bruit, le souhaiter aussi, dans l’espoir insensé que la vieille Augustina l’attende toujours, que la vie, que l’amour éclairent encore ce monde devenu gris.

Dans ce roman, la beauté de l’histoire et celle de l’écriture s’entrelacent comme rarement dans la littérature. Les phrases ancrées au plus près de la terre, hachées comme le bois des forêts, rejoignent la musique des sphères et l’on ressort de ce livre bouleversé, tremblant, profondément ému comme au sortir d’une cantate de Bach.
Car l’art de Sandrine Collette est un art musical, capable d’exprimer l’indicible comme de faire résonner les silences, il tend toujours à réenchanter d’amour les mondes perdus et à teinter d’espoir le plus sombre des gouffres

Delorme, Wendy – Devenir lionne


La narratrice vient ici, en relation avec la lionne, reparcourir deux étapes de sa vie amoureuse. La première à Berlin alors qu’elle avait vingt ans, et la seconde à quarante ans, en France.
C’est lors d’une visite au zoo de Berlin qu’elle tombe sur une lionne enfermée dans une cage étroite. Profondément émue par cet animal qui ne bouge pas sinon pour se mutiler, la jeune femme la visite fréquemment, fascinée par cette image d’elle-même puisqu’elle entretient au même moment une relation de dépendance malsaine avec un jeune homme qui l’encage psycho-sexuellement.
Si l’héroïne a tant de mal à quitter cet homme, c’est en vertu de ce déchirement entre son désir d’une vie riche, autonome, libre, et son besoin d’appartenir totalement à un homme, d’être même entravée par lui, ce qui la rend potentiellement encageable .
Quand vingt ans plus tard la narratrice aime à nouveau, elle craint de retomber dans la même cage qu’à Berlin. Mais avec ce second amour, elle comprend qu’il y a une troisième voie : un devenir lionne de la femme qui lui permet de sortir des cages mentales et sexuelles que la société, et elle-même, ont édifiés. Un devenir lionne piétinant les barreaux de la binarité et de la hiérarchie, inventant d’autres rugissements pour sortir de ce système qui n’engendre que la violence, la domination et la haine..
Ainsi, entre la liberté sans engagement et l’esclavage, il existe la confiance
Intelligent, enlevé, ce livre d’une femme forte et fragile, vulnérable et puissante, douloureuse et radieuse, est un appel à ce qui, dans la femme et par elle seulement, peut aboutir à un devenir autre, et donc à un avenir impensable dans les systèmes patriarcaux,

Merci à NetGalley ainsi qu’aux édition J.L. Lattès pour cette lecture.

Antoine, Amélie – Pourquoi tu pleures ?

Dénigrée, dévaluée, sans cesse comparée négativement à sa soeur et son frère par une mère froide et méprisante, Lilas n’a d’existence et de valeur qu’aux yeux de son père aimant, mais ce dernier décède brutalement .alors qu’elle n’a que 16 ans. Endeuillée de son père et d’elle-même, Lisa ne reprendra pied qu’avec Maxime, ce garçon charmant, attentionné et drôle que tous adorent.
Sous le regard amoureux de son ami devenu son mari, Lilas s’épanouit et plus tard, met au monde une petite Zelie qui dort mal, crie et pleure énormément. Lilas exige d’elle-même d’être une épouse et une mère idéale, toujours disponible et souriante, mais ces devoirs l’épuisent de plus en plus. Un soir, elle se repose tandis que Maxime se rend chez un collègue avec Zelie, mais ils ne rentrent pas. Le lendemain, affolée, Lilas appelle la police.

Un livre poignant sur l’impossibilité d’expliquer nos actes quand, portés par une infinité de micro-lésions, ils s’extériorisent un jour sous forme d’un éclat brutal.
Un ouvrage sur l’insondable solitude de l’être humain, une solitude accentuée encore quand cet être fut engendré dans le gouffre du rejet et se voit constamment menacé d’y retomber.
Un roman sur l’incommunicabilité des vécus et des ressentis qui, de quelque façon qu’on s’ingénie à les exprimer, seront toujours déformés par les vécus et ressentis de ceux qui les écoutent.
Alors, à la solitude s’ajoute l’isolement.
Un livre qui touche, émeut, fâche et poignarde

Köping, Mattias – Le Manufacturier


Voyez comme aujourd’hui croît le nationalisme au nom duquel, à l’instar du Dieu de jadis toujours récupérable, les pires abominations sont admises et justifiées. Alors les sadiques, les psychopathes, les monstres tout poil se réveillent, s’adonnent à leurs pire penchants et en tirent gloire et avantages.
Ainsi cette fureur qui s’empara des serbes orthodoxes et des croates catholiques dans les années 90, semant des charniers derrière eux, menant une guerre faite de crimes de guerre, creusant des marques indélébiles où se ressourceront la haine, la vengeance, le ressentiment, dans une spirale sans fin.
Lorsque la paix est signée, les tortionnaires fuient ou se cachent sous de fausses identités où telles des hyènes ils attendent en s’aiguisant les dents.
Mais certains hommes s’en indignent et consacrent leur vie à poursuivre et punir les criminels de guerre, ce qui gène tant les corrompus au pouvoir que les criminels recyclés.

2017. Vous allez rencontrer le capitaine Radiche, un flic glacial, cruel et détestable ; Irena, une avocate serbe qui fut victime des horreurs croates mais a sublimé sa haine en réclamant justice pour toutes les victimes ; Milovan, un enfant adopté en France qui connut les mêmes atrocités qu’Irena mais causées par les serbes ; et enfin le manufacturier, un homme à l’identité mystérieuse qui pratique les pires tortures imaginables pour en jouir et les vendre en ligne

Un thriller renversant, magistralement écrit et construit mais extrêmement, atrocement dur. Un livre désespérant, d’une noirceur qui exclut toute lumière. Un roman qui démontre l’éternel retour du même Mal absolu.

Rouchon-Borie, Dimitri – Le Démon de la Colline aux Loups


Le narrateur, emprisonné pour longtemps, entame le récit de sa vie depuis son enfance où il vivait dans une pièce noire, blotti contre ses frères et soeurs, enfoui quasi sans mots dans la chaleur de leur unité. Jusqu’à ce que Duke, ainsi apprend-il son nom, soit tiré de là par le service social obligeant ses parents à le scolariser. Complètement perdu dans un monde dont il ne connaît aucun objet et aucun usage, Duke sera en plus l’objet de viols sauvages de son père jusqu’à son hospitalisation et le placement des enfants. S’il a témoigné contre son père et sa mère, c’est pour sauver sa soeur préférée, Clara, celle qui le consolait après les viols subis, celle dont il voulait à tout prix protéger l’innocence.
Comme Duke ressent en lui une rage grandissante, qu’il nomme son Démon et dont il ignore les limites, il quitte tout et part,

C’est raconté dans une langue riche de sa pauvreté, infiniment belle, nourrie à l’innocence de l’enfance bafouée, une langue qui vient vous déchirer le coeur, vous arracher les tripes et vous briser l’âme.
Et même si le Démon s’empare par moments de Duke, cette rage irrépressible se lèvera toujours afin de défendre l’innocence de sa soeur préférée, celle qu’il a sauvée de la noirceur du père et dont le nom, Clara, demeurera en lui comme une rédemption, comme une clarté pure et belle.

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