de Roany, Céline – De si bonnes mères

La Capitaine Céleste Ibar est envoyée, avec son fidèle coéquipîer Ithri, dans la région marécageuse de la Brière suite au meurtre d’une jeune femme mutilée aux lieux de sa féminité. Près d’elle git une alliance d’homme. Ce crime renvoie à celui, similaire, d’une jeune femme restée non identifiée.
Forcée de collaborer avec un gendarme de la région, Céleste l’accueille à reculons avant d’apprécier sa largesse de cœur et sa compétence. Leur trio s’emploie alors à décortiquer la vie de la victime et à cerner les motivations du tueur.
Outre le poids de cette enquête difficile et tortueuse, Céleste s’angoisse à l’approche de sa seconde audition qui lui fera revivre son combat à mort contre le monstre qui la torturait.
De quoi raviver sa culpabilité dont on sait depuis Lacan que « Ce n’est pas le mal, mais le bien, qui engendre la culpabilité » .

Déjà superbe, l’écriture de Céline de Roany s’est encore affinée, et ses personnages se sont largement étoffés. Céleste en particulier est bouleversante quand la culpabilité, la honte et l’angoisse effritent sa carapace de froideur et que s’esquisse alors, furtivement, une belle sensibilité toute en pudeur.
Je me réjouis déjà de suivre ailleurs ce personnage tourmenté, contrasté et d’une rectitude absolue.
Il faut saluer le sérieux du travail de l’auteure ainsi que son ouverture à ces variations de la féminité et de la maternité qui font la grandeur, et la misère, des femmes.

Merci à NetGalley et aux Presses de la Cité pour cette lecture

Clarke, Susanna – Piranèse

Piranèse vit dans un immense Palais-Monde-Dieu dont les salles immenses s’ornent de statues de tailles variées. Il n’y rencontre qu’un seul homme, l’Autre, qui cherche le savoir alors que lui écoute les messages des statues, le chant des étoiles et les paroles des oiseaux puis veille tendrement les ossements des morts
L’étage inférieur appartient à l’océan et ses marées variables que Piranèse connaît comme l’on connaît les humeurs d’un dieu joueur.
Le Palais gratifie l’Autre de mets exquis et de vêtements neufs alors que Piranèse doit pêcher sa pitance, porte des guenilles et s’enchante quand l’Autre lui offre, rarement, un bol ou un carnet.
Car Piranèse tient scrupuleusement son journal et, en relisant d’anciennes notes, s’étonne d’y lire certains noms inconnus aux échos pourtant familiers, comme perçus depuis une vie antérieure

L’écriture poétique, lumineuse et envoûtante de ce livre nous transporte dans un univers que le regard de Piranèse sublime, car Piranèse est la grâce et l’innocence, il ignore ce qu’est le mal, s’émerveille de ce Palais en qui il voit le paradis et n’envisage la faim, le froid ou l’effort que comme de simples besoins qui n’affectent en rien sa joie ni sa gratitude
Inventif, d’une construction parfaite et d’une grande beauté littéraire, ce livre est un véritable coup de coeur

Giovanni Battista Piranesi dit Piranèse, né près de Trévise en 1720, est un graveur et un architecte italien 

Charine, Marlène – Léonie

Léonie avait 19 ans quand elle fut séquestrée et violée par un homme qui malgré les chaînes et les verrous, veut croire qu’il l’aime, jusqu’à ce que, 6 ans plus tard, il meurre d’un arrêt cardiaque.
Loïc enquêtait comme policier sur la disparition de Léonie lorsqu’un terrible accident l’emprisonna dans une hémiplégie. Il sera veillé et encouragé par Diane, aide-vétérinaire pour des animaux en cage, qui l’a toujours protégé,
Le récit se poursuit en revenant sur les années de claustration de Léonie ainsi que sur celles de Loïc, dans une oscillation temporelle qui rend leurs émotions plus intenses et leurs réactions plausibles car si la cage est honnie, en sortir peut être effrayant et les mécanismes pour l’éviter nombreux et sophistiqués
Des corps déchiquetés retrouvés en forêt donneront ensuite lieu à une enquête peu intéressante et précipiteront des rencontres improbables, voire absurdes

La haine qui étouffe le haineux, l’amour qui étouffe l’aimé, la séquestration possessive, les limitations du corps blessé, et ces multiples, enfermements dont nous souffrons tout en nous y abritant, voilà bien un thème captivant développé de façon magistrale et avec cette belle écriture déjà appréciée auparavant chez l’auteure
Dommage qu’elle ait ensuite voulu poursuivre sur d’autres chemins,

Alexandre, Carine – Je me souviens

Dans les années 1920, deux jumelles naissent dans une famille immensément fortunée.
Madeleine, celle qui se souvient, a tous les dons de la nature et entend en profiter alors que Marthe, sensible et généreuse, est plus fade et sera, quasi de force, mal mariée
La première commet le pire et s’enfuit dans un paradis, laissant ceux qui restent endurer l’opprobre ; la seconde ne se permet rien de crainte que les siens n’en subissent les retombées. La première se divertit et se voit partout adulée, la seconde ne rencontre pas même une amie et même ses enfants seront difficiles et exigeants. La première voyage et devient une célèbre photographe quand la seconde ne s’accordera aucun loisir

Telles les deux soeurs de Lazare citées dans les Evangiles, Madeleine prend la meilleure place et en sera louée alors que Marthe se dévoue et restera ignorée..
Une vie est-elle remarquable et l’autre médiocre selon qu’elle aura été choisie ou subie ? Ou sont-elles égales ? Sans doute, comme le suggère ce roman, la question se situe-t-elle bien ailleurs…
D’une très belle écriture travaillée en accord avec l’époque et le milieu, ce roman lasse néanmoins par le répétition des amours de Madeleine toujours fulgurantes et luxuriantes et cela à chacun de ses déplacements, où qu’elle apparaisse.
La fin, tellement juste et fine, m’a personnellement affligée

Je remercie chaleureusement l’auteure pour l’envoi de ce livre

Philippart, Patrick – Au nom de Clara

Ce matin-là, quand Dimitri Boizot journaliste à « L’Actualité », entre dans son bureau, une femme lui téléphone lui annonçant qu’elle va commettre un meurtre ce soir. Qui sera suivi d’autres. Et qu’il sera toujours le premier à en être prévenu. Dimitri pense à un canular, mais la nuit, la même dame l’appelle, lui raconte où et comment elle a réalisé le meurtre annoncé « au nom de Clara » et elle veut qu’il en fasse la Une
Hélas, ordre express du substitut du procureur. Dimitri doit taire cette information, ce qui ne plaît ni à son rédacteur en chef furieux de rater une exclusivité, ni à la dame qui veut qu’on parle de ses crimes et mettra tout en oeuvre pour y parvenir

Que voilà une intrigue simple, mais redoutablement prenante du fait de ce lien entre la criminelle, véritable caméléon plein d’intelligence, et Dimitri, ce journaliste d’excellence tellement gentil
Si ce roman n’est pas le chef d’oeuvre du siècle, il faut lui reconnaître une belle cohérence et une dynamique captivante

Ægisdóttir, Eva Björg – Les filles qui mentent

L’inspectrice Elma a intégré une petite équipe quand le corps d’une jeune femme, disparue sept mois auparavant, est découvert dans un champ de lave. On pensait que Marianna s’était suicidée, mais vu l’état du corps véritablement massacré, il s’agit bien d un meurtre. L’enquête doit donc reprendre à zéro, et d’abord revenir sur l’histoire de la victime, depuis son passé tragique, sa difficulté à être mère à 15 ans, sa solitude, ses incartades qui lui valurent le placement temporaire d’Hekla, sa fille, en famille d’accueil
En alternance, une jeune mère confie son rejet, son dégoût même envers son bébé, son amertume envers cette enfant qui la prive de sa liberté. Mais qui donc parle ici ? Marianna ou une autre mère ?

Par delà l’enquête, ce roman analyse les effets d’une maternité non voulue sur l’enfant, dont deux particulièrement : l’enfant peut aussi bien s’abriter derrière un détachement froid que s’établir dans un lien fusionnel maladif.
Ce roman avance au rythme de l’introspection, il nous offre ainsi le temps de comprendre les difficultés de ces mères trop jeunes, isolées et démunies. Enfin, il nous amène au constat que chaque mensonge coûte une vie.

Un grand merci aux éditions La Martinière et à Babelio pour cette lecture

Conroy, Pat – Le prince des marées

Caroline du Sud. Tom, Luke et Savannah Wingo ont été élevés par un père pêcheur de crevettes alcoolique, violent et excentrique, et une mère égoïste dont la seule ambition est de s’élever socialement. C’est donc cette vie-là, parsemée de grandes joies mais aussi de tragédies et d’horreurs indicibles, que Tom va raconter à la psychiatre Susan Lowenstein qui le lui demande car elle veut comprendre et sauver Savannah, mutique et prostrée après une énième tentative de suicide

Tom a étouffé les douleurs de son enfance sous une épaisse couche d’ironie et de froideur émotionnelle ; Savannah revit ses terreurs enfantines au travers d’hallucinations insupportables, autrement elle écrit des poèmes sublimes qui magnifient sa passion et sa douleur ; Luke enfin, l’aîné, est le porteur de la force, du courage et de la rébellion au nom de valeurs supérieures

L’écriture somptueuse et poétique,
L’intelligence des propos et de l’histoire,
L’intensité des émotions, vagues puissantes qui emportent tout, nous y compris, sur leur passage
Et la profondeur des personnages, aussi irritants qu’attachants, font de ce livre un chef d’oeuvre exceptionnel

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